Puiser de l’énergie dans le lac de Zurich

D’ici trois ans, le Pôle santé Lengg (voir encadré) devrait être approvisionné à 100% en énergie renouvelable. Il s’agit du plus grand projet de ce type en Europe. Au sein du «réseau anergétique de Lengg», les cliniques et instituts de Balgrist n’utiliseront plus que l’énergie propre du lac de Zurich à partir de 2027. Ils économiseront ainsi environ 10 000 tonnes de CO₂ par an. «Cela équivaut à ce que 1000 hectares de forêt peuvent compenser», explique Silvia Banfi Frost, déléguée à l’énergie de la ville de Zurich. «Près de la moitié de la forêt sur la zone urbaine.» Selon elle, un réseau lacustre d’une telle ampleur serait un autre élément important pour atteindre l’objectif de la ville de Zurich en matière de politique énergétique, à savoir la neutralité climatique d’ici 2040.

«J’aime bien quand il fait chaud», déclare Andrea Rytz, CEO de la clinique Schulthess. Pourtant, il n’y a pas de chauffage pour le moment – le bureau d’angle lumineux avec vue sur le lac de Zurich est baigné de soleil. «Nos salles d’opération nécessitent toutefois une température constante de 18 degrés», explique-t-elle. «On doit pouvoir compter là-dessus.» En sa qualité de présidente du Pôle santé Lengg, l’une de ses missions consiste à faire avancer le projet commun d’exploitation de l’eau du lac (voir l’interview). «Le lac de Zurich est une source d’énergie renouvelable située à deux pas de chez nous, alors pourquoi s’en priver?»

Un partenariat public-privé réussir

Avec un volume d’investissement de près de 90 millions de francs, le réseau d’eau du lac est un bon exemple de partenariat public-privé réussi. Le développement de la zone située dans le quartier de l’hôpital de Lengg en 2015 a permis de préparer soigneusement ce projet gigantesque grâce aux partenaires impliqués: les cliniques du Pôle santé, l’UZH et l’EPF, la protection et le sauvetage, le canton et la ville de Zurich ainsi que la commune de Zollikon. En sa qualité de contracteur, Energie 360° prend en charge la majeure partie des coûts et facture aux consommateurs·trices un prix final au kilowattheure. Plus il y a de personnes qui achètent de l’énergie de chauffage et de refroidissement par installation, moins elle est chère. Les quartiers résidentiels voisins devraient également en profiter.

Une utilisation modérée sans danger pour l’environnement

Une cinquantaine de réseaux de chauffage sont actuellement en exploitation ou en projet autour du lac de Zurich. Au niveau national également, le potentiel est énorme. Les dix plus gros lacs naturels de Suisse contiennent environ 220 kilomètres cubes d’eau. De quoi produire de l’énergie thermique et de refroidissement pour un à deux millions de personnes vivant près des rives. La puissance théoriquement utilisable peut atteindre deux gigawatts par an, soit l’équivalent de deux centrales nucléaires.

D’un point de vue écologique, rien ne s’oppose à une utilisation raisonnée du lac comme source d’énergie. «L’échange d’eau a lieu dans ce qu’on appelle la thermocline, entre 15 et 40 mètres de profondeur», explique Martin Schmid, physicien des eaux à l’Eawag. À cet endroit, la température de l’eau varie naturellement – les poissons et les autres êtres vivants y sont habitués. «Les utilisations existantes et envisagées de l’eau du lac entraînent un léger refroidissement des eaux du lac de Zurich», poursuit Martin Schmid. «Celui-ci est toutefois beaucoup moins élevé que les variations naturelles observées d’une année à l’autre et n’a donc aucun impact négatif sur l’écologie aquatique.»

Le fonctionnement d’un réseau anergétique

L’eau du lac est prélevée à une trentaine de mètres de profondeur et pompée dans une centrale lacustre souterraine. Ensuite, l’énergie de l’eau du lac est transmise à un circuit intermédiaire qui la transporte vers les centrales énergétiques des établissements de santé. Ce n’est qu’à cet endroit que la chaleur est produite au moyen de pompes à chaleur ou que le froid est produit via un échangeur de chaleur. Ce sont donc les cliniques qui décident si l’énergie obtenue doit servir à produire de la chaleur ou du froid.

Forage dirigé: la technique pour entrer les conduites dans le sol

Des tuyaux de plusieurs mètres de long, du liquide en grande quantité et de puissantes têtes de forage sont nécessaires pour faire entrer les conduites d’eau dans le sol. Dans le cas d’un forage dirigé, un trépan de faible diamètre dégage la voie pour la future conduite principale. Le tunnel ainsi creusé permet faire passer dans le sens inverse un alésoir au rayon plus gros, qui pose les tuyaux derrière lui. Un mélange d’eau et de bentonite, un matériau de consolidation, fait remonter à la surface le matériau perforé dans le tunnel tout en stabilisant la cavité. Les travaux sont un peu plus compliqués si l’extrémité d’une conduite se trouve sous l’eau. Des plongeurs soutiennent ensuite les travaux sous le niveau du lac.

«La médecine se nourrit de l’innovation»

Andrea Rytz, vous êtes CEO de la clinique Schulthess et présidente du Pôle santé Lengg. Est-ce que santé et durabilité vont de pair?

Notre santé dépend directement de notre rapport à l’environnement. Les deux systèmes ont besoin de solutions durables et innovantes. La médecine se nourrit de l’innovation. Et la durabilité devrait être une priorité pour toutes les entreprises aujourd’hui. Le projet d’exploitation de l’eau du lac est une chance pour nous tous d’investir dans un avenir écologiquement viable.

Pourquoi avez-vous pris la tête du Pôle santé?

Il s’agit de l’avenir de tous les instituts ici présents et l’engagement en vaut la peine. De plus, la présidence ne représente qu’une infime partie de ma charge de travail.

Comment se passe la collaboration entre les cliniques?

La crise du Covid nous a permis de sortir renforcés sur le plan collectif. Nous devons maintenant réfléchir à la manière dont nous nous présenterons à l’avenir au public en tant que Pôle santé Lengg. Cette démarche existe déjà ailleurs dans le monde, par exemple au sein de la Dubai Healthcare City. Ici, au bord du lac de Zurich, nous avons la chance de bénéficier d’un bel environnement et nous devons tenir compte de nos voisins. Sur le plan politique, de tels projets n’ont une chance que si l’on peut montrer qu’il existe des solutions viables dont tout le monde peut profiter.

Quelle est la part de courage nécessaire? 

Il est clair que nous devons formuler des hypothèses – et pourtant nous irons jusqu’au bout. Cela demande un certain engagement, mais les risques sont partagés. Nous sommes tous prêts à payer un peu plus par kilowattheure pour l’environnement. En contrepartie, l’entretien des installations fossiles est supprimé – ainsi, au final, cela ne nous coûte pas plus cher. En fin de compte, il ne s’agit pas de faire preuve de courage, mais simplement d’intelligence.